jeudi, juillet 11, 2013

PICASSO LE MINOTAURE...



Des milliers de toiles, de gravures, de dessins, de sculptures, de céramiques et de bricolages géniaux. Plus d'une oeuvre par jour sur prés de quatre vingt dix ans. Sans assistant, sans limite technique.
Picasso semblait ne connaître ni relâche ni temps mort.Inquiet, impatient, il ne restait jamais inactif. Il ne supportait pas la durée et l'ennuie.Peut-être que cela venait de sa hantise de la mort...

A Matisse l'harmonie, la contemplation, la réflexion.
A Picasso l'inquiétude, le drame, la violence, le sexe.

Le peintre était un monstre de travail. Cependant même les monstres ont besoin de nourriture.
Le charme magnétique du Minotaure fonctionnait et les proies furent nombreuses...
Ses relations avec l'autre sexe étaient compliquées:

l'homme était peintre (idéaliste) avant tout et ses compagnes étaient naturellement ses modèles. Les rôles de chacun vouaient à être complexes.
Au début, les conquêtes adorées brillaient sous l'aura du "Maestro" (Picasso était devenu dés mille neuf cent dix sept riche et célèbre dans le monde entier). Le temps érodait à grands pas les sentiments. Peu à peu Pablo les abandonnait toutes comme un enfant se délaisse d'un jouet ancien pour un nouveau...

Es ce que ses peintures l'aidèrent à calmer ses angoisses?
Avait-il trouvé la voie de l'équilibre?
Arrivait-il à canaliser ses colères?
Difficile à croire à la lecture de ceci:

« Quand je mourrai, prophétisait l'artiste, ce sera le naufrage; beaucoup seront aspirés par le tourbillon ». La liste est longue de ses « victimes »: Dora Maar, l'une des compagnes, morte dans la misère au milieu de ses toiles qu'elle refusait obstinément de vendre; Marie-Thérèse Walter, la muse, retrouvée pendue; « grand-mère Olga », danseuse des Ballets russes de Diaghilev, qui, pour Picasso, avait tout abandonné, pays, carrière, rêves et fierté, Olga épousée, adulée, cent fois peinte, puis, « humiliée, salie », et qui a terminé sa vie paralysée sans que son mari ait daigné venir la voir une seule fois.
Il y eut Pablito, grand-frère de Marina, « jouet du sadisme et de l'indifférence » du peintre. Après la mort de ce dernier dans sa « forteresse », le jeune homme, fou de chagrin, souhaitait simplement dire adieu au disparu. Le garde-chiourme a menacé de lâcher les chiens, Pablito s'est enfui comme un voleur. Deux jours après, il a absorbé un flacon d'eau de Javel et agonisé durant trois mois, l'oesophage, l'estomac, les intestins saccagés, pour s'éteindre à 24 ans. « Suicide du siècle » qui enfiévra les salles de rédaction de France et de Navarre. Ses amis se cotisèrent pour qu'il repose aux côtés d'Olga.
Il y eut, deux ans plus tard, Paulo, mort d'un cancer, le père de Pablito et Marina, colosse d'1,90 m, « géant résigné » face au « gnome d'à peine un mètre soixante ». Paulo était le chauffeur de Picasso, son factotum et souffre-douleur, chichement payé à la semaine. Oublié l' « Arlequin » qui avait posé pour lui, timide dans son costume à losanges jaune et bleu. « Tu es un anarchiste bourgeois doublé d'un incapable » lui lançait Picasso. Quand Paulo, pour mendier sa maigre paye, se rendait à « La Californie », la luxueuse demeure cannoise de l'artiste, et, plus tard à « Notre- Dame-de-vie », gardée par de féroces lévriers afghans, Paulo n'était pas toujours bien reçu. Souvent, Jacqueline, l'épouse, faisait éconduire l'importun, par concierge interposé: « Je vais voir si le ''maître'' peut vous recevoir ». « Le ''soleil'' ne veut pas qu'on le dérange » assénait parfois elle- même la dévote Mme Picasso, compagne des derniers jours, qui a fini avec une balle dans la tête.
Pour les petits, c'était, à chaque fois, la même déconvenue, la même humiliation. « Le ''maître'' travaille »...
Il y avait des jours, pourtant, où le portail s'entrouvrait, où « l'antre du titan » était accessible, caverne d'Ali-Baba dans laquelle Esméralda, la chèvre fétiche à qui l'on pardonnait tout, semait son chapelet de crottes, souillant les dessins du génie entassés à même le sol. Ces jours-là, Picasso posait des questions, n'écoutait pas les réponses, vrillant les enfants de son regard de braise. Il convenait de l'appeler « Pablo », comme tout le monde, surtout pas « grand-père ». Un jour, « Pablo » confectionna une cocotte en papier dont les petits, extasiés, tentèrent de s'emparer. Scandale dans l'atelier: c'était une oeuvre d'art!

Peut-on imputer au seul peintre la responsabilité de cette hécatombe? Non évidemment. Mais le géant prenait tant de place que son absence a laissé dans la vie de ceux qui l'ont connu, et même de ceux qu'il a fait tant souffrir, un vide effrayant.
Irradiés par l'astre solaire, beaucoup n'ont pas pu survivre à son éclipse.



 (Article réalisé d'après l'excellent numéro hors-série GEO ART -Avril 2013-entièrement consacré à  Picasso)